Chaque matin faire exactement la même chose, se lever, se précipiter dans la douche bouillante, attraper le peignoir de bain chauffé par le radiateur et se recoucher tout en écoutant la radio, France Culture ou Inter, cela dépend du sujet ; s’enduire tout le corps de la crème ramenée de la Mer Morte, ouvrir le placard et choisir ses habits du jour puis une fois habillée, arrêter le transistor et descendre dans la cuisine, ouvrir la porte qui mène au jardin et faire rapidement le tour de chaque bosquet, de chaque massif, enlever les fleurs fanées des géraniums et les escargots qui dévorent chaque nuit les pétunias.
Rentrer préparer le petit déjeuner et pendant que le café passe, écouter sur la radio du séjour la suite de l’émission abandonnée quelques instants plus tôt. Pain grillé, confiture d’orange amère confectionnée durant l’hiver, café bien fort sans lait ni sucre, médicaments programmés pour la journée dans une petite boîte métallique achetée à Buenos Aires et qui rappelle le long périple entrepris quelques années auparavant.
Ensuite, éplucher les légumes pour la journée, préparer la soupe, éteindre la radio et monter faire la chambre. Allumer l’ordinateur, regarder les nouveaux messages, faire les mots croisés du Monde en ligne, lire deux ou trois articles …
Continuer ainsi la journée sans que rien ne dérange l’ordre des choses car c’est dans ces répétitions qu’il est possible de trouver un semblant de bien-être ; sentir le temps se dérouler sans changement apparent, chaque jour utiliser les mêmes objets, exécuter les mêmes gestes, ce qui permet de supposer que tout cela existe, est bien réel. Alors émerge enfin la conviction d’être vivante.
Cependant, régulièrement arrive le moment où cette existence ressemble plutôt à une anesthésie prolongée, à une mort lente. Alors, tel un un prurit qui démange, survient le désir de tout chambouler, de s’essayer à des expériences inédites. Partir, se dégager du cocon rassurant, sortir de cette gangue étouffante, décider d’un long voyage, Toujours choisir un pays dont on parle la langue car ce sont les rencontres qui importent et non l’exotisme. Risquer l’angoisse de l’inconnu.
Plusieurs jours avant le départ, besoin irrépressible de se réfugier dans le grand lit sous la couette mais rêves de perte de passeport, de rater l’avion, d’oublier la valise dans la navette qui mène à l’aéroport. Et où dormir la première nuit ?
Jour J, une fois installée, ceinture de sécurité bouclée, c’est la délivrance, plus rien ne peut arriver de désagréable, l’inquiétude cède la place à l’excitation.
Une vie nouvelle commence …