Pendant que j’écrivais les 10 mille noms à l’encre sépia pour l’exposition Bordeaux, Drancy, Auschwitz, aller simple, j’ai éprouvé le besoin de modeler des têtes. C’est quand j’ai reçu des Archives Nationales les fiches concernant mon père que j’ai vraiment décidé de consacrer cette exposition au phénomène de l’errance. A l’initiative de Jean-Paul Angot, directeur du Théâtre de Valence, scène nationale, qui préparait Temps de Parole, j’ai eu la possibilité d’en faire partie et de montrer cette installation.
Chercher à faire vivre le visage humain en travaillant la terre n’est pas une aventure sans risque. En m’y engageant, j’ai été irrémédiablement confrontée à la nécessité de déchiffrer sur ces figures les marques laissées par leur histoire personnelle … et d’en révéler d’autres traces, celles de l’Histoire Collective. Ce que vous allez voir ici ne représente ni une étude exhaustive et ordonnée sur le thème de l’errance ni un quelconque projet militant.
Préparation de l’exposition : le livre de bord
Pour engranger les idées qui me venaient et accumuler tous les documents que je trouvais, j’ai constitué un livre de bord qui est devenu par la suite un CDrom associant images et son, le texte était dit par Chantal Morel et Christian Taponard du Centre de Création Théâtrale de Grenoble que vous pourrez écouter au cours de cette visite virtuelle. Ce livre de bord rend compte des révoltes et des émotions qui m’ont traversée et habitée tout au long de ce parcours : les chocs de l’actualité ont fait ressurgir en écho les secousses du passé, sans pour autant qu’il soit possible de les confondre. Ce recueil, témoin d’un goût immodéré du jeu avec les mots, d’un penchant à archiver et d’une obstination à aller jusqu’au bout, est l’expression d’un cheminement dont le caractère discontinu n’est que le reflet d’une pensée vagabonde. C’est mon carnet de route nomade.
Le projet
- Représenter en buste toutes sortes de gens : homme, femme, vieux, jeune, tout type, tout caractère. Scanner les têtes et traiter les images obtenues.
- Photographier les têtes comme des photos anthropométriques : face, profil. Attribuer à chaque tête un numéro. Exemple : Papon Maurice, expulsé de Suisse puis incarcéré à Fresnes ; n° d’écrou : 887868. Présenter les diapos des têtes en noir et blanc et en très grand format.
- Choisir les têtes les plus caractéristiques. Il faudra entendre le clic à chaque changement, quitte à accentuer le son naturel des carrousels. Veiller à ce que le défilement soit rapide.
(Une salle noire nommée Bertillonage avait été réservée dans chaque lieu d’exposition pour le défilé des têtes : une face avec son numéro et une profil (dimensions 2,10m x 1,30m) pour chaque tête.) - Faire un trombinoscope avec les scans des têtes.
- Dans une valise, entreposer un amoncellement de fac-similés de papiers d’identité car qui dit errance dit : vos papiers !
- Présenter les têtes enfoncées dans le sable, en file indienne : par 2 ?, en groupe ? en masse ? À hauteur d’œil, environ 1m 20. Comment retenir le sable ? Quelle distance entre deux têtes ? Si c’est 20 cm, cela va faire une file de 20 m. ! (En fait, les dimensions de l’installation étaient : longueur 14m, largeur 1m, hauteur 1,10m)
Évite de demander ton chemin à celui qui le connaît de peur de ne plus pouvoir t’égarer.Rabbi Nachman de Braslav
J’ai attribué une fiche à chaque tête en rapport avec celle reçue des Archives. Chaque visiteur pouvait consulter la boite en fer qui les contenait … et même se fabriquer sa propre fiche … au cas où !!i attribué une fiche à chaque tête en rapport avec celle reçue des Archives. Chaque visiteur pouvait consulter la boite en fer qui les contenait … et même se fabriquer sa propre fiche … au cas où !!
La langue française ne manque pas de mots. Vous remarquerez qu’un seul mot n’est pas dans la liste des camps, cette exposition ayant eu lieu en mai 2000 !
Réalisme
S’égarer, voyager, vagabonder, errer, partir, fuir, s’échapper, se sauver, se réfugier, s’expatrier, s’exiler, émigrer
Inauguration officielle après la rénovation du château Regain par des sans abris et des ex-alcooliques en réinsertion ; ceux-ci ont participé au montage de l’exposition (presque en plein-air !)